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PORTRAIT

Eric Marrian est né en 1959. En 2003, il décide de revenir à son premier amour, la photographie, discipline dont il avait hésité à faire son métier à la fin de ses études d’architecture. Il débute à cette époque une série sur Saint Malo, puis passe à la photographie en studio. Fin 2005, il entame une série en studio réalisée en grand et moyen format, basée sur une approche graphique et surréaliste du nu. De cette démarche naîtra la série Carré Blanc, qui ne quittera plus. Représentation asexuée de la photographie de nu, pour façonner une représentation purement graphique, architecturée, et dénuée de toute tension érotique, cette série se veut ascétique, désensualisée. Il s’évertue, par cet art et cette fonction, à faire oublier chez le spectateur la fonction première en lui faisant retenir uniquement la fonction graphique, tout en créant cette dynamique surréaliste. Chez Eric Marrian, la modèle est partielle, infime et infinie.

 

Les courbes et les lignes deviennent absolues et démesurées car elles s’étendent au-delà du cadre physique, de l’espace environnant, dans une esthétique froide, comme une volonté d’épurer davantage le corps, de le ramener à l’état de matière, brute et inerte, pour mieux le définir et le modeler. Les corps sont ainsi façonnés à l’image du sculpteur, s’amusant d’un spectateur trompé, le mettant volontairement dans le trouble pour mieux le servir. Avec les premières images de cette série, il gagne le prix 2006 du festival européen de la photo de nu d’Arles. Il poursuit depuis cette série, trouvant de nouvelles inspirations au fil des mois. Ce travail est aujourd’hui mondialement reconnu, et a été exposé et publié à de nombreuses reprises en France et à l’étranger. Connu et suivi chez de nombreux annonceurs, il développe un regard sur le monde de la mode en signant, début 2010, ses premiers éditos. Courant 2011, il débute un nouveau projet basé sur l’utilisation de films instantanés couleur grand format. Il est également ambassadeur de la maison Fuji pour les appareils numériques X et les produits Instax.

INTERVIEW EXCLUSIVE

Comment est née la série Carré Blanc ?
Comme beaucoup, j’ai commencé par faire du photoreportage, ce qui est la meilleure façon de progresser. Pour autant, le formalisme du studio me tentait depuis longtemps, et j’ai donc fini par y céder. Je me suis donc rapproché d’un club photo grâce auquel j’ai pu tisser des liens enrichissants avec de nombreux photographes. A ce titre, j’ai commencé à travailler à la chambre photographique. Ce nouveau choix technique vous impose de fait un changement de méthodologie, une approche plus formelle de l’image. A partir des premiers tests effectués, je me suis vite concentré sur cette recherche graphique, sur les tonalités très particulières qui sont propres aujourd’hui à cette série, avec ce beige très clair et ce noir absolu, nuances qui me permettent de m’éloigner des canons usuels de la photographie de nu. La connotation sexuelle ou érotique que l’on voit dans la majorité des approches du nu ne m’intéresse en effet pas beaucoup. Maintenant, trouver des voies novatrices dans ce domaine n’est pas chose aisée. Si cette série est venue naturellement, sans vraiment réfléchir à ce qui avait été fait, j’avais quand même des références acquises dans ce domaine : Man Ray, Eikoh Hosoe, ou Harry Callahan pour ne citer que les plus connues. Ce qu’il y a eu de surprenant, c’est de voir que cette approche a donné lieu à des images qui se sont répétées au cours des années. Maintenant, je me sens d’autant plus à l’aise que cette série regroupe beaucoup de contraintes de création : Utilisation d’une colorimétrie limitée, format carré, etc…. Le fait d’avoir ces barrières encadre votre travail, mais dans le même temps est une source inépuisable d’inspiration. J’ai encore fait une séance il y a quelques jours après une interruption de plusieurs mois, et ça a été immédiat. Vous discutez avec une modèle, pendant qu’elle commence à prendre la pose, et très vite vous l’arrêtez pour figer une image que vous n’aviez jamais faite, alors que ça fait bien 10 ans que je travaille sur cette série… L’élégance, pour vous, c’est quoi ? Ce mot n’a pour moi aucun sens quand on le rattache à une expression artistique. Cela peut être une photo de nu de Robert Mapplethorpe, par exemple, alors que certaines personnes vont crier au scandale en voyant ce travail. Si je dois utiliser ce mot, je pourrais y rattacher le travail de Pierre et Gilles, qui ont une vision que je trouve très sophistiquée, avec des références assumées à l’histoire de l’art, conjuguées à un discours d’une grande richesse. L’élégance est là pour moi.

Vous revendiquez une désexualisation de votre photographie ?
J’assume avant tout une interprétation surréaliste. Vous pouvez dans l’absolu cadrer un sexe féminin en gros plan, et réaliser une photo qui vous amène à une perception exclusivement graphique. Vous ne voyez plus le sujet, mais ce que l’auteur a voulu vous montrer. A l’inverse, vous pouvez formaliser une image très crue, avec des parties de corps parfaitement anodines. Demandez à une femme de s’installer à genoux et de poser ses épaules sur le sol. Si vous photographiez ce dos à cet instant-là, vous obtiendrez l’image parfaite d’un phallus. Pierre Louÿs a été le premier à réaliser cette photographie. Man Ray l’a également fait avec Lee Miller je crois, et on en retrouve des réinterprétations régulièrement. Finalement, plutôt que désexualisation, il faut parler de dénaturation, le corps est plutôt à intégrer comme un outil d’écriture. Après, c’est à chaque auteur de raconter sa propre histoire, quelle qu’elle soit…

- Retrouvez la suite d'Eric Marrian dans Normal Magazine n°5-

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