PORTRAIT
Marc Lagrange a trouvé la mort tragiquement le 26 décembre 2015, à Tenerife, aux îles Canaries. Un homme de talent est décédé, un photographe de génie est parti. A la rédaction nous admirions Marc. A travers cet oeil d'une sensualité et d'une précision exacerbée, à travers ce petit homme simple, discret, passionnant et passionné. 15 jours plus tôt nous venions de réaliser un entretien filmé avec lui sur Paris, à discuter photographie et oeuvres, sans se douter qu'à 57 ans, nous ne pourrions jamais plus échanger avec lui.
Marc Lagrange travaillait en conjuguant beauté et plaisir. Il est le photographe des nus et des portraits, créant le luxe et les étendues atemporelles, où érotisme et intimité jouent une pièce centrale. Perdant toute inhibition face à l’appareil, ses mannequins prennent vie, tout en devenant des personnages, conformes aux archétypes de ses désirs. Ses muses, ses femmes fatales, conservent leurs charmes mystérieux et insaisissables, se rendant plus agressivement attirantes. Aphrodite joue. Marc favorise les jeux de séduction à l’étalage de sexe brut. Il joue avec l’onirisme et le fantasme, faisant abstraction de toute logique et des brides de la réalité. Connu pour photographier avec de large polaroids, il convoite la texture et fuit les contrastes et les dimensions normatives de la photographie de mode. Privilégiant les formes et les courbes, l’artiste place le corps au centre de ses recherches artistiques, explorant de nouvelles perspectives, des angles inventifs et la pose parfaite. Les images lui viennent à l'esprit d'abord. Il n'y a pas de croquis et de préliminaires. Concevant lui même les décors et s’attachant au moindre accessoire, Marc est un puriste et un passionné. Il en va de même pour les lieux, longuement et soigneusement recherchés jusqu’à ce qu’ils répondent à ses exigences. Il passe parfois ses journées à rechercher un objet spécifique, qui sera disposé sur une table, comme en témoigne, ses scènes de banquet, qui distillent la lubricité. Les travaux de Marc ont été salués unanimement par la critique et recueillis dans le monde entier.
INTERVIEW EXCLUSIVE
Ton principal trait de caractère ?
Je suis un grand perfectionniste ! Quand je commence à faire une photo je la pense longuement, je réfléchis. Tout doit être bien coordonné, préparé. J’étudie tout, jusqu’au stylisme qui pour moi a une importance capitale. J’ai un œil absolument partout, de la prise de vue jusqu’au tirage. Je cherche à ce que tout soit parfait. Je ne suis pas quelqu’un de facile dans le travail (rires), je suis peut-être très exigeant, mais je ne suis pas un photographe rustre ou brutal, je suis plutôt calme, j’essaye d’expliquer à toute l’équipe, à chacun, ce que je cherche.
Pourquoi le Nu ?
On me catalogue souvent comme un photographe de nu érotique. C’est un titre qui me déplaît, que je ne me donne pas. Je fais du nu, beaucoup de nu mais je veux que ce soit plus qu’un nu. Je cherche à styliser le nu, à le rendre culturel, que ma photo ait du sens ! J’ai commencé par faire des photographies pour Playboy, ou ce genre de publication, mais je ne peux plus le faire, c’est trop bas de gamme, trop banal. Je montre des photos de femmes nues avec une histoire, un récit, la série du Banquet ou plus récemment Hôtel Maritime. Dans ces séries il y a toujours quelque chose qui se passe, une allégorie, une narration, une tension, et il ne s’agit jamais de montrer du nu pour du nu. Cela rejoint le travail et la pensée d’Helmut Newton. Il a shooté beaucoup de nu mais avec une trame derrière. Devant chaque photographie le spectateur se représente, invente une histoire. J’aime beaucoup les femmes et d’autant plus les femmes nues, mais des femmes mises en scène, placées, et non exhibées. À travers mon travail du nu et notamment avec Senza Parole, j’ai fait un travail d’histoire de l’art qui montre des références à la sculpture, à la peinture, au cinéma. Le nu n’est pas un argument pour mettre une femme nue. C’est une démarche globale.
Et justement à travers cette démarche, que souhaites-tu exprimer ?
Je souhaite que les spectateurs soient touchés par les idées ; qu’ils deviennent observateurs. Je cherche à ce que la photo déclenche des émotions chez les gens. Et c’est pour cela que je joue avec le nu. J’ai un grand projet pour un musée, ce n’est plus un secret, inspiré de la décadence romaine, quelque chose à la Fellini, du Satyricon !
Comment as-tu commencé la photo ?
J’ai toujours fait de la photo ! Depuis l’âge de 12 ans. J’étais passionné. (Rires) À 28 ans, j’étais ingénieur. J’ai commencé à photographier mon beau-frère. À cette époque-là, c’était un mannequin célèbre, il avait notamment beaucoup posé pour Olivero Toscani et mené de grandes campagnes avec lui. Je l’ai shooté ; toutes les agences ont vu les photos et se sont demandé qui les avait réalisées. Tous les samedis et les dimanches, je faisais des tests et puis j’ai fait mon premier book. Cela a été un grand tournant dans ma vie. À ce moment-là, on me proposait beaucoup de travail en tant qu’ingénieur. Je regardais les gens autour de moi, ils étaient vieux et gris, non pas de corps, mais d’âmes, ils n’avaient rien à faire et je ne me reconnaissais pas en eux, moi je voulais crier, je voulais vivre ! Et j’ai arrêté. Les gens m’ont dit : « tu es fou !». J’ai suivi mon cœur ! Et ça a marché.
- Retrouvez la suite de Marc Lagrange dans Normal Magazine n°1 -